Tribune libre mise en ligne sur Marianne.fr le 22 juin 2024.
Et si, lors des européennes du 6 juin, la démocratie avait triomphé ? Le résultat du scrutin est sans appel et je ne parle pas ici du spectaculaire bond en avant du Rassemblement national, mais au contraire de la profusion des listes. Du Parti pirate à la Ruche citoyenne, en passant par Nous le peuple, Changer l’Europe, ou le Parti animaliste, l’éventail bigarré des sensibilités offrait le spectacle éminemment démocratique d’une France plurielle, nourrie de colères et d’espoirs variés, d’une France qui voulait parler, qui voulait témoigner et qui profitait d’une élection sans réel enjeu national, mais à la proportionnelle, pour le faire.
C’est lors de ce type d’élection que les citoyens envoient à leur gouvernant un coup de semonce. C’est la raison pour laquelle le RN avait déjà été majoritaire lors des deux dernières consultations européennes.
Les Européennes, c’est la photographie précise d’une France indocile, d’une France en colères, qui refuse de se reconnaitre dans la bannière macronienne du « monde nouveau ».
C’est alors que le président a gesticulé. Contre toute attente et à la surprise de son Premier Ministre et de son propre camp, il a soudainement décidé de dissoudre l’assemblée. « J’ai décidé de vous redonner le choix », a-t-il dit aux électeurs, alors même que le peuple venait de s’exprimer, en rejetant massivement le camp présidentiel et en choisissant d’appuyer le Rassemblement national. Le geste est évidemment à contre-temps. Il plonge la France dans une crise politique inédite, à quelques jours des Jeux Olympiques et de la trêve estivale. Il témoigne d’un calcul hasardeux, dont chacun pressent qu’il n’a rien de vertueux.
Qu’espérait-il, par ce coup narcissique qui trahit sa jeunesse ? Renflouer son camp, en apparaissant comme le seul et unique rempart, face à la montée de l’extrême droite. A l’évidence, il n’a rien compris aux mouvements souterrains de l’opinion. Car aux yeux des Français, il est devenu l’artisan même du désordre. Comment pourrait-il maintenant incarner l’ordre républicain face aux extrêmes ?
Dans un tel contexte, la France est plus que jamais divisée en trois ensembles hétéroclites. Face à un archipel centriste chancelant, qui peine aujourd’hui à s’unir et présente le triste visage du désarroi, les macronistes eux-mêmes se sentant floués par leur chef, on voit menacer un solide bloc national, aguerri par les épreuves et de plus en plus présidentiable. De l’autre côté du spectre, le Nouveau Front populaire n’est pas amené à perdurer. Cet assemblage hétéroclite ne tient que par l’idée du front antifasciste. On s’unit « contre » et non pas « pour ». Quoi de commun entre le chef de la Jeune Garde antifasciste, Raphael Arnault, et l’ancien ministre de Macron, Aurélien Rousseau ? Quoi de commun entre le leader du « Nouveau Parti anticapitaliste-L’Anticapitaliste », Philippe Poutou, et l’humaniste modéré Raphael Glucksmann ? Quoi de commun entre la violence radicale de La France insoumise et la gauche modérée d’une Carole Delga ? Le Nouveau Front populaire n’est viable que très provisoirement. Et que se passera-t-il s’il se trouve majoritaire ? Verra-ton un insoumis devenir Premier Ministre ? Pour toute une partie de la gauche, c’est inimaginable. N’a-t-on pas vu apparaitre sur les murs le slogan « ni RN, ni LFI » ?
Ainsi, par sa hardiesse enfantine, c’est le Président de la République qui aujourd’hui contribue à l’extrémisation de la société. C’est lui qui plonge la France dans un chaos dont elle ne voulait pas. C’est lui, l’extrémiste.
Cette stratégie du pire n’augure rien de bon.
Christophe Bourseiller
Historien et journaliste, président de l’Observatoire des extrémismes et des signe émergents. Dernier livre paru : La France en colères (Editions du Cerf).