Ce texte a été initialement publié en postface du livre La Joie d’être au monde, d’Olivier Berut.
Tandis que nous galopons sans répit vers le tombeau, en une cavalcade ponctuée de ruades, le monde demeure-t-il par hasard inaltérablement indifférent à nos gémissements, nos implorations, nos interprétations ? L’idée ne manque pas d’angoisser le plus grand nombre. C’est pourquoi beaucoup d’humains errant en aveugles sur cette Terre se croient les jouets d’une Providence, divine ou superstitieuse.
Détenteurs d’une pensée magique, ils cherchent et trouvent dans la réalité les signes fragiles et provisoires qui les réconfortent. Le quotidien se trouve ainsi ponctué de mille superstitions, dont l’horoscope n’est que la partie la plus immergée car la plus médiatique.
Notre destin fait enfin sens. Nous ne sommes plus, dès la naissance, les acteurs d’un film dont nous n’avons pas écrit le scénario. Nous devenons en apparence les maîtres de notre devenir. La vie n’est plus une suite de hasards, un chaos dénué de signification, mais un cheminement guidé, voire audioguidé. Nous découvrons le sens de notre existence. Nous avions, nous avons un but.
De même, tous les destins s’entremêlent en une toile pensante, en vue d’un objectif ultime et divin. Le monde n’est qu’une machine sublime et sans défaut, dont nous devenons les rouages confiants. C’était écrit. C’était dit. C’était prévu. Pourquoi me battre, puisque mon destin m’oriente ?
Quelle merveille ! Comme il serait plaisant que tout ceci soit vrai.
Mais la poussière du sentier s’avère moins parlante. Car la Providence semble parfois nous jouer des tours… L’univers entier nous observe comme un bonze endormi.
La manifestation du réel est ainsi une glaise, une substance, neutre et incolore, sur laquelle chacun se trouve libre de greffer des interprétations. Non, le destin n’est pas tracé, et notre vie n’est pas écrite dans un livre céleste.
Mais n’est-ce pas encore plus enthousiasmant ? Chacun d’entre nous est libre. Libre de bâtir son monde. Libre d’interagir, et ce sont nos propres interactions qui créent le sens.
Nous sommes les seuls co-auteurs de notre « karma ». Point de Providence à l’horizon. Point d’organisation surnaturelle de la réalité.
Nous cheminons en vérité dans le chaos, les pieds dans la boue, la tête dans les étoiles. C’est notre choix, de célébrer la joie d’être au monde, de bâtir et d’inventer, de donner du sens. Car en procédant de la sorte, nous nous substituons à ce Dieu défaillant que nous aimerions voir gouverner l’univers avec discernement, quand seul le hasard et la violence président au désordre de la vie.